Zering
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| Sujet: Bullet Ballet - Shinya Tsukamoto, 1998 Lun 11 Juil - 16:19 | |
| BULLET BALLET - 1998 - Japon - 87 minutes. Un film de Shinya Tsukamoto avec Shinya Tsukamoto, Kirina Mano, Tatsuya Nakamura et Takahiro Murase Avec Tsukamoto, on s'attend toujours à voir un truc complètement fou, dans la veine d'un TETSUO. Même son film "réaliste", TOKYO FIST, est excessivement violent, voire gore, et, dans sa quête du réalisme, Tsukamoto ne peut s'empêcher de rendre hommage à ce qu'il fait le mieux : la science-fiction. Pourtant, avec BULLET BALLET, Tsukamoto signe non seulement son meilleur film mais il prouve aussi qu'il est capable de faire un film réaliste et crédible, même si tout de même un peu plus barré que la moyenne. Il signe donc un vigilante movie, au scénario à la base simple, voire simpliste mais y apporte sa philosophie nihiliste comme pilier de soutien et signe donc une oeuvre majeure. Cette philosophie, présente dans TETSUO I & II mais aussi dans TOKYO FIST est ici développée et mise en évidence, mieux, Tsukamoto en fait un élément pivotal de son récit, élément scénaristique qui prend tout son sens lors de la toute dernière scène. A grand coup d'ultra-violence et de nihilisme, Tsukamoto signe le film de sa vie, le TAXI DRIVER japonais.
C'est donc une oeuvre extrême que livre Shinya Tsukamoto caractérisée par l'usage absolument sensationnel du noir et blanc et une ultra-violence poussée. La subjectivité est donc de mise puisque BULLET BALLET ne s'arrête pas au nihilisme de son propos mais contient une forte dose de violence stylisée et sublime pour qui saura l'apprécier, qui plus est, dans son réalisme, Tsukamoto s'adonne tout de même à quelques dérives, faisant du revolver du personnage principal l'élément pivotal du film, mais filmant celui-ci non pas comme une simple arme mais comme une véritable extension du corps humain, extension du bras comme l'indique certains plans mais aussi une extension phallique. C'est donc le revolver que le personnage principal met si longtemps à trouver le personnage central de ce récit. De la même manière que pour le métal dans TETSUO et la boxe dans TOKYO FIST, l'arme centrale du récit est pour le personnage principal le moyen de parvenir à une nouvelle forme d'existence, une existence par la mort et la douleur, représentée par l'imagerie christique que Tsukamoto utilise souvent dans son oeuvre, en témoigne le premier screenshot de l'article, car qu'y a t-il de plus représentatif de la mort et de la douleur que la crucifixion du Christ? BULLET BALLET est le film le plus complet de Tsukamoto sur sa philosophie nihiliste, puisque non content de la représenter pour la quatrième fois avec brio, il la met en évidence et la charge de symboles très représentatifs tout en livrant une oeuvre stylisée, ainsi, la ou les dernières minutes, cette dernière poussée d'adrénaline pourrait sembler comme une non-fin (une des spécialités de Tsukamoto) c'est en réalité l'aboutissement ultime de cette philosophie nihiliste. Blessés, à moitié morts, les personnages se mettent à courir et ce n'est qu'a ce moment-là qu'ils se rendent compte qu'ils existent et qu'ils vivent. Au travers de cette scène, au passage superbe, Tsukamoto retranscrit toute ses obsessions et résume en 3 minutes toute sa filmographie, c'est simple, BULLET BALLET c'est Shinya Tsukamoto, on retrouve ainsi toutes les obsessions et toutes les caractéristiques des films du bonhomme : le personnage principal est un salarié, écrasé par l'environnement urbain dans lequel il vit, qui entre en contact avec un groupe de gens qui lui permettent de trouver une existence au travers de la douleur. Ici, ce groupe, c'est les jeunes, et le choix de ces derniers n'est pas un hasard dans la mesure ou la jeunesse au Japon est à ce jour un problème majeur (voir KIDS RETURN mais surtout le chef d'oeuvre de Kinji Fukasaku, BATTLE ROYALE), ainsi tout en transposant ses obsessions, Tsukamoto ancre son film dans la réalité et les problèmes de son époque et émet même une opinion dessus : on sent très bien que Tsukamoto hait les jeunes, en témoigne le personnage de Goto, trou du cul agaçant, qui dans la logique de Tsukamoto, à trouvé une existence par la douleur, mais qui tente de s'intégrer dans la société du travail (symbolisée par le costume-cravate, que le personnage principal ne porte jamais... Je doute que ce soit un hasard.) et dans un environnement urbain oppressant, pourtant, Tsukamoto se met du côté de ces jeunes dans leur recherche de la vie dans la mort, en cela, BULLET BALLET s'impose comme un véritable paradoxe qu'il est intéréssant d'étudier pour en comprendre la portée.
Avec BULLET BALLET, Tsukamoto travaille sur ses obsessions. Afin de les développer le plus possible, il ne perd pas une seconde et signe une introduction rapide, précise et efficace. En 5 minutes, les deux personnages principaux, l'élément pivotal du film, et tous les enjeux de ce dernier sont posés. Tsukamoto palie donc à ce qui était le plus grand défaut de son TOKYO FIST, le rythme. Ce dernier, ici, carrément infernal, voire par moments frénétique, donne une intensité incroyable à BULLET BALLET, enchainant les scènes qui tuent sans aucun répit et sans aucune concession, en témoigne cette scène ou dans un élan de colère, Goda se fabrique un flingue fait maison et attaque les jeunes qui l'ont racketté 3 minutes avant ou encore cette fusillade finale, déchainement de violence incroyable et monument de mise en scène. Stylisé, BULLET BALLET l'est assurémment, les impacts de sang font couler beaucoup plus de sang qu'ils n'en devraient et en soit, rien que la mise en scène relève de la stylisation : Tsukamoto ne semble toujours pas savoir ce qu'est un plan fixe (et tant mieux!), tout le film est tourné caméra à l'épaule, ce qui permet au réalisateur de cette perle de signer une oeuvre incroyable visuellement, frénétique dans son montage (Tsui Hark serait jaloux...) pleine de pures merveilles visuelles, en témoigne cette scène de "jeu du métro"... Je n'en dis pas plus tant cette scène est surprenante mais sachez simplement qu'avec une caméra et 3 francs Tsukamoto fait mieux en termes d'effets spéciaux que nimporte quel blockbuster hollywoodien. Rajoutez à cela une photographie du tonnerre et un noir et blanc sensationnel et avec BULLET BALLET vous savez que vous tenez une merveille visuelle.
Cette merveille visuelle est soutenue par des acteurs absolument incroyables. Inutile de citer Shinya Tsukamoto, qui en plus d'avoir réalisé, monté, écrit et produit BULLET BALLET en tient également le rôle principal. Le bonhomme est criant de crédibilité dans le rôle d'un salarié détruit par le suicide soudain et imprévisible dont la vie prend du sens suite à la rencontre d'une petite "punkette" (merci Jean-Pierre Dionnet pour ce néologisme.) assez provocatrice merveilleusement jouée par Kirina Mano. Et pour continuer sur les acteurs méconnus, Tatsuya Nakamura est étonnant ici, jouant un rôle qui n'est pas sans rappeler Brad Pitt dans FIGHT CLUB, il affiche une gueule assez étrange et des airs limite psychopathes. Quand à Takahiro Murase et les acteurs qui jouent la troupe de jeunes, ils sont tous parfaits dans leurs rôles de trous du cul agaçants et soulignent à merveille la haine que Tsukamoto voue à ces jeunes, la ou Mano et Nakamura créent le paradoxe en donnant vie à des personnages à part qui permettent à Tsukamoto de se ranger de leur côté, paradoxe largement explicité par cette scène ou Goda, son flingue pointé sur Goto, le petit jeune, crie "Je ne m'en servirai pas contre vous"...Réplique très représentative du paradoxe dont Tsukamoto est victime.
En parlant de répliques, Tsukamoto, en plus d'être un grand réalisateur, monteur et acteur, est également un grand scénariste... BULLET BALLET est une merveille d'écriture, que ce soit dans la structure de son scénario ou ses dialogues. Comme à son habitude, Tsukamoto préfère dire ce qu'il à a dire par sa mise en scène davantage que par les dialogues, il est donc très difficile de trouver des répliques inutiles, toutes font avancer le scénario et permettent à Tsukamoto de développer ses obsessions très explicitement, pour autant le bonhomme n'oublie pas de faire un film et livre avec BULLET BALLET un véritable modèle de construction dramatique. Celle-ci, en crescendo, est très efficace. Tsukamoto construit sa tension dramatique avec brio jusqu'a une explosion finale de violence qui marquera les esprits dans la mesure ou sa brutalité, en plus d'être inattendue est également marquée d'un certain suspense, ainsi cette fusillade finale, avant l'explosion de violence qui à mes yeux la caractérise, est l'occasion pour Tsukamoto de se servir de son ambiance sonore pour installer une tension nerveuse. Jouant sur les nerfs du spectateur avec l'aide de bruits les plus incongrus les uns que les autres, jouant sur le sursaut et sur l'obscurité de son décor, Tsukamoto se montre avec BULLET BALLET capable non seulement de livrer une oeuvre frénétique mais aussi de jouer sur des registres plus subtils comme le suspense, et inutile de dire que pour moi, l'essai est tout à fait réussi.
Pour finir, BULLET BALLET est soutenue par une musique absolument incroyable de Chu Ishikawa, le seul mec au monde capable de rendre la noise music agréable à l'écoute, qui, non content de livrer une zik incroyablement bourrine livre également dans les derniers instants de cette oeuvre une musique plus calme et agréable, apaisante, ainsi tous ceux qui connaissent un minimum ce compositeur seront surpris à l'écoute de la musique finale de ce film... Film qui pour moi à marqué un tournant puisque vous l'aurez compris, je l'adule. Il s'agit à ce jour d'un de mes 10 films préférés et si tout le monde ne partagera pas mon engouement, je tenais quand même à le préciser.
BULLET BALLET est un putain de chef d'oeuvre intergalactique. A voir absolument. Malheureusement voila, trouver le film est assez difficile. Une chose est sure : vous ne le trouverez JAMAIS sur le commerce. Mais le film est disponible dans une édition qui déchire, une édition Asian Classics, un coffret qui contient deux films, ce BULLET BALLET évidemment mais aussi le génialissime TOKYO FIST de Tsukamoto, évidemment avec ces deux films il y a beaucoup de bonus : une présentation des deux films par le légendaire Jean-Pierre Dionnet, des interviews de Shinya Tsukamoto, des bandes-annonces et un livret collector détaillant et expliquant les deux oeuvres génialissimes contenues dans le coffret. Malheureusement une telle édition vient avec un prix et est donc assez cher... Mais il est sans doute possible de le trouver sur priceminister.com pour un prix convenable. Au passage, les fanas de la VF seront surpris... Car aucun des films de Tsukamoto, et je dis bien AUCUN, n'a été doublé en français... Et tant mieux!
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