SEX AND FURY - Japon - 1973 - 92 minutes.
De Norifumi Suzuki avec Reiko Ike et Christina Lindberg.
SEX AND FURY est un grand film, mais qui ne manquera néanmoins pas de diviser. Rien d'étonnant en soi, si l'on part du principe que cette oeuvre du grand Norifumi Suzuki (a ne pas confondre avec Seijun Suzuki, autre réalisateur japonais bien niqué du cerveau) est aussi réussie artistiquement qu'elle est racoleuse. Ainsi, la ou certains y verront un spectacle déviant et pervers pour des spectateurs tout aussi déviants, d'autres y verront, à juste titre en ce qui me concerne, une oeuvre atypique certes mais d'une grande qualité artistique et d'une grande importance. Quelques explications...
En effet, si le cinéma d'exploitation japonais n'a jamais été connu pour sa subtilité, il l'a cependant toujours été, tout comme les réalisateurs qui le représentent, pour sa capacité et sa propension a faire se cotoyer judicieusement le racolage le plus fou avec l'esthétique la plus magnifique artistiquement. SEX AND FURY ne fait pas exception, et si Suzuki ne rate jamais une occasion de rajouter une scène de cul au milieu de son film, il ne rate jamais l'occasion non plus de filmer celles-ci avec grâce et poésie. Le générique, dans lequel Reiko Ike se tient, un sein dévêtu, un sabre a la main, au milieu d'un décor baroque plein de couleur, est fort représentatif de cette volonté de faire une oeuvre d'exploitation s'assumant entièrement comme telle et surfant totalement sur les tendances de l'époque, tout en imposant des canons esthétiques d'une rare beauté. Ce n'est pas un hasard, d'ailleurs, si les deux actrices principales sont deux des plus belles actrices de leur temps. C'est au contraire un choix qui continue d'inscrire SEX AND FURY dans une logique toute aussi racoleuse qu'elle est esthétique. Pour cette raison, impossible d'être surpris par les propos de ceux qui n'ont pas compris l'intérêt d'une telle oeuvre, mais pour autant, s'arrêter à cela est une vilaine erreur dans le sens ou c'est aussi passer a côté de l'une des plus belles oeuvres jamais réalisées. Suzuki s'y déchaine et se laisse aller à toutes les exubérances : décors baroques, couleurs chaudes a foison, éclairages vifs, bastons sanglantes et ralentis lyriques... Impossible de ne pas voir derrière ce déchainement de beauté visuelle l'influence évidente du giallo italien, que ce soit au travers des éclairages dignes d'un Dario Argento ou de l'érotisme constamment présent évoquant inévitablement des oeuvres telles que LIZARD IN A WOMAN'S SKIN. Suzuki pousse ses influences a bout, en particulier de l'érotisme, qu'il filme avec une grâce inégalée mais qu'il intègre également a la narration avec brio. Dans SEX AND FURY, comme l'indique le titre, le sexe procure autant de plaisir que de douleur, arme grâce à laquelle les femmes peuvent imposer leur puissance sur les hommes, dont le contrôle sur ces dernières est limité dès lors qu'il concerne la sexualité. Les personnages d'Ocho et de Christina sont tous deux très représentatifs du propos du film, l'une utilisant a son avantage cette dernière pour se venger des meurtriers de son père et l'autre se montrant complètement insensible aux punitions sexuelles que lui infligent la société machiste dans laquelle elle vit. Impossible de ne pas voir dans SEX AND FURY un propos profondément féministe, qui n'est d'ailleurs pas sans évoquer les deux chefs d'oeuvres de Shunya Ito (LA FEMME SCORPION & ELLE S'APPELAIT SCORPION).
Dans un film ou le corps et la chair sont autant des dispositifs de plaisir qu'ils peuvent être des armes (une fois de plus, le générique préfigure également cet aspect du film), il n'y a rien d'étonnant a les voir si ouvertement filmés, sans aucun complexe ou timidité, d'autant plus que le genre lui-même l'exige. Néanmoins, si l'on pourrait voir un défaut au film dans ces scènes érotiques fréquentes et parfois a la limite un vulgos, c'est en réalité la grande force de SEX AND FURY, puisque Norifumi Suzuki les magnifie au travers d'un traitement tantôt poétique du sexe, tantôt très brutal. La mise en scène virtuose de ce dernier met clairement en valeur chaque aspect du sexe mis en évidence par le film. Ainsi, même les scènes de viol les plus terribles sont montées autour d'une musique agréable et poétique. Voir derrière une scène de ce type de la perversion et de la bétise serait facile, mais en réalité, ce traitement du sexe témoigne au contraire d'une volonté de revaloriser la femme dans une société profondément machiste. Celles-ci ont un pouvoir incommensurable sur les hommes et les tiennent par les couilles dès lors que le sexe est impliqué, mais impossible de ne pas y voir aussi une volonté de revaloriser le sexe lui-même. N'oublions pas que nous sommes au Japon en 1973, et qu'a l'époque, le sexe est la-bas le tabou ultime et est sujet à des règles (implicites) rigoureuses, ainsi impossible de ne pas voir derrière SEX AND FURY (et tout un pan du cinéma japonais) une volonté d'assouplir ces mêmes règles (tout en racolant un maximum, oui le cinoche d'exploitation nippon est fait de paradoxes), même si en même temps il est difficile de ne pas y voir aussi l'oeuvre de toute une bande de frustrés (mais ce n'est rien a côté de la cultissime saga HANZO THE RAZOR). Cette volonté de réformer la société japonaise en revalorisant la place de la femme et du sexe se manifeste également par la place de celui-ci dans la narration, qui avance quasiment exclusivement jusqu'a son standoff final sanglant grâce à celui-ci. En faisant de celui-ci une part intégrante de la narration, la volonté de l'équipe responsable de SEX AND FURY est très clairement posée... Mais soyons honnêtes, ce n'est pas pour l'intelligence et l'audace de son propos que l'on regarde un film SEX AND FURY mais davantage pour voir des gens se bastonner, des femmes nues et une histoire viscérale se dérouler... D'une certaine façon, ceux qui considèrent les amateurs de cinéma d'exploitation n'ont pas tort : nous sommes des geeks un peu pervers peut-être mais en ce qui me concerne je jetterais 20 ANTICHRIST pour un SEX AND FURY. Les deux films sont similaires : ce sont des monuments de racolage et de provocation, la différence c'est que l'un se cache derrière des pseudo-réflexions intellectuelles la ou l'autre assume entièrement son statut de film d'exploitation vulgaire pour livrer un propos pas si con que ça déja, mais aussi pour faire preuve de talent et de générosité.
En effet, a partir du moment ou vous mettez SEX AND FURY dans votre lecteur DVD, préparez-vous à une heure et demi des plus généreuses. Les bastons barbares s'enchainent a un rythme infernal qui n'a d'égal que celui auquel s'enchainent les scènes érotiques stylisées, le tout avec un enthousiasme évident de la part de son réalisateur. Le film est un monument de fun, qui, malgré sa noirceur, divertit de bout en bout, notamment grâce à son rythme non-stop et frénétique. Les choses s'enchainent avec une vitesse incroyable mais toujours avec soin. Suzuki privilégie en effet la précision a la précipitation et transcende chacune de ses scènes grâce à sa mise en scène, tout bonnement incroyable. On compte d'ailleurs dans SEX AND FURY une des plus belles scènes de bastons au sabre jamais réalisées, d'un lyrisme incroyable, qui en plus d'être esthétiquement incroyable préfigure le cultissime LADY SNOWBLOOD avec quelques mois d'avance et le très référentiel KILL BILL avec 30 ans d'avance... Un prodige? Carrément oui, mais cela ne fait qu'illustrer le talent visionnaire d'un réalisateur de grand talent, qui s'il n'a pas eu la carrière qu'il méritait, est quand même le responsable de nombreux classiques (LE COUVENT DE LA BÊTE SACRÉE, SHAOLIN KARATÉ... Que je n'ai a mon regret pas vus.). Son talent visuel explose littéralement ici. De la gestion de l'espace à la façon dont la chair et le sang y sont mélangés pour mieux être stylisés et magnifiées, le film de Norifumi Suzuki s'impose très vite comme une oeuvre non seulement exemplaire mais aussi exceptionnelle dans la mesure ou, par son audace et son originalité, elle constitue une avancée artistique considérable, et si beaucoup de culs serrés prétendant représenter l'intelligencia crachent a la gueule de tels films, finalement, qu'est-ce qu'on a a foutre? Les faits sont les mêmes et qu'ils crachent dessus ou non, SEX AND FURY reste aussi magnifique qu'il l'a toujours été, par ailleurs soutenu par un casting excellent. Reiko Ike et Christina Lindberg y sont magnifiques (dans tous les sens du terme) et donnent vie avec brio a leurs personnages, magnifiquement écrits et constamment magnifiés par la caméra de Suzuki, elle-même soutenue habilement par une bande originale orchestrée d'une main de maître par Ichirô Araki (qui avait déja travaillé avec Norifumi Suzuki sur CARESSES SOUS UN KIMONO.).
SEX AND FURY est un chef d'oeuvre, tout simplement. On fait difficilement plus racoleur, certes, mais en soi, peu importe, on fait difficilement plus beau aussi et c'est ce que les détracteurs de tout le pan du cinéma qu'il représente semblent volontairement oublier. Pourtant, à bien des égards, SEX AND FURY est une oeuvre majeure, au propos féministe fort et a l'audace incroyable. Subversif, SEX AND FURY peut prétendre l'être et ce sur bien des points, notamment dans la mesure ou son propos va complètement à l'encontre de tout un aspect de la société japonaise, à savoir le sexe et les tabous rigides qui l'entourent. Pour autant, ce qui nous marquera le plus dans ce grand film de Suzuki, c'est sa beauté visuelle et la grâce de la mise en scène, qui renvoie autant au cinoche d'exploitation italien qu'elle préfigure de nombreux films contemporains. Suzuki magnifie chaque plan, fait preuve d'une maîtrise technique irréprochable et poétise constamment la violence et le sexe avec un talent quasiment jamais égalé dans le genre. Rajoutez à cela deux actrices principales de toute beauté, des personnages haut en couleur et un protagoniste féminin badass a souhait, et vous tenez un chef d'oeuvre, tout simplement. Un classique a voir absolument!