CROSS OF IRON - 1977 - Etats-Unis - 130 minutes.
Avec James Coburn, Maximillian Schell, James Mason et David Warner.
Film choc. De tous les films que Peckinpah, de toutes les oeuvres ou il manipule une violence tout aussi morale qu'elle est visuelle, CROSS OF IRON est sans doute la plus viscérale avec STRAW DOGS, autre oeuvre choc qui a, rappelons-le, causé scandale à l'époque de sa sortie, tout comme LA HORDE SAUVAGE et APPORTEZ-MOI LA TÊTE D'ALFREDO GARCIA, d'ailleurs... Sam Peckinpah est un réalisateur controversé, qui a ses admirateurs et ses détracteurs, et pour cause, il s'aventure toujours dans des sujets extrêmement délicats et de ce point de vue CROSS OF IRON est sans doute le plus extrême, Peckinpah y délivrant une description du front russe pendant la Seconde guerre mondiale du point de vue des nazis. De ce coup de provocation bien senti, Peckinpah construit une histoire a la charge subversive évidente et colle de vilains coups de savates dans toutes les conventions cinématographiques et morales établies... Mais CROSS OF IRON demeure avant tout une oeuvre profonde et intelligente, au propos réfléchi d'une noirceur et d'un nihilisme rarement égalée, a part peut-être dans le magistral REQUIEM POUR UN MASSACRE d'Elem Klimov, qui renvoye d'ailleurs a plusieurs reprises à CROSS OF IRON, en témoigne la séquence finale qui n'est pas sans rappeler le générique d'introduction de ce cru de Peckinpah...
CROSS OF IRON est une oeuvre à l'influence indéniable sur le cinéma, tout comme la plupart des autres oeuvres de Peckinpah, ceci dit, qui a peut-être signé avec celui-ci son chef d'oeuvre absolu. Faisant preuve d'une maîtrise technique sidérante, Bloody Sam joue habilement avec son montage et crée avec brio le chaos sur le champ de bataille, dont la représentation est d'ailleurs impressionnante, CROSS OF IRON n'ayant pas pris une ride, et les scènes d'action, très nombreuses, ont quand à elles gardé une hargne et une violence magistrales au fil des années. L'oeuvre de Peckinpah plonge son spectateur dans les mêmes horreurs psychologiques et morales que ses personnages. L'identification a ces soldats allemands est donc immédiate, Peckinpah montrant très clairement ce que beaucoup semblent refuser de comprendre, c'est-a-dire que tous les soldats allemands n'étaient pas des nazis génocidaires, un constat simple mais qu'il est politiquement correct de ne pas comprendre... Mais vous savez que sur ce blog, le politiquement correct, on s'en fout, et Peckinpah lui s'en soucie encore moins, pour preuve, il fait tout pour rendre ces personnages attachants et il le fait bien, le spectateur suit avec attention leur descente aux enfers jusqu'a un final dont la puissance dramatique risque de vous laisser sur le cul... Ces personnages sont d'ailleurs pour Peckinpah l'occasion de détourner une fois de plus les codes du genre qu'il exploite en présentant davantage son personnage principal comme un personnage de western que comme un soldat en guerre... Taciturne, ne se pliant pas à l'ordre établi et survivant dans un environnement perpétuellement hostile, Steiner est un personnage intéréssant par sa dimension anachronique (que l'on retrouve dans tous les films contemporains de Peckinpah.) mais surtout par les différents aspects de sa personnalité.
En effet, c'est un personnage violemment insubordonné, s'opposant perpétuellement aux officiers qui le dirige, d'une manière qui n'est d'ailleurs pas sans évoquer les conflits de Peckinpah avec ses producteurs. De cette insubordination découle toute la noirceur du récit, le personnage de Steiner met en évidence l'horreur des hommes qui nous dirigent, ici de vils officiers envoyant des hommes à la mort à l'abri dans leurs bunkers. La nature de l'homme est un sujet que Peckinpah a souvent abordé au fil de sa carrière, notamment dans CHIENS DE PAILLE ou David Sumner se montrait capable des pires horreurs par jalousie et fierté masculine, dans CROSS OF IRON, Peckinpah dresse un très vilain portrait des hommes en charge, quand à eux, capables des pires atrocités par simple avidité matérielle... Notre société, Peckinpah l'avait comprise en détail, et il le prouve une fois de plus avec cette oeuvre actuelle, voire universelle par le contexte qui y est abordé. En effet, la Seconde guerre mondiale n'est pas un hasard, il est toujours plus facile de traiter d'un sujet aussi vaste lorsqu'on prend un exemple aussi global que la seule guerre à avoir touché le monde entier. Tout le monde devrait donc se sentir concerné par cette oeuvre sans concession, car finalement, Stransky, le bad mother fucker de l'histoire n'est rien de plus que le reflet parfait des hommes qui nous dirigent, et l'introduction d'images d'archives montrant les méthodes de contrôle d'Hitler vient clairement l'amertume du propos. Alors certes, Peckinpah ne fait pas avec ce film dans la plus grande subtilité, mais n'est-ce pas la le but? Il me semble que l'objectif avec CROSS OF IRON n'est pas de faire passer maintes réflexions mais davantage d'envoyer à grands coups de tatanes un constat simple, catégorique et brutal mais d'une importance capitale, pour nous et les générations futures... Ce n'est pas un hasard, une fois de plus, si, sans trop en dire, Peckinpah, d'une manière symbolique, éxécute le peu d'espoir et le peu d'humanité qui reste à l'humanité au bout de dix minutes...
Dans toute cette noirceur, CROSS OF IRON se distingue par ses qualités formelles, à commencer par la mise en scène magistrale de Sam Peckinpah bien évidemment, mais également par la qualité de son scénario et de son script, superbement écrit, ainsi que la qualité de son interprétation. James Coburn est tout simplement brillant dans le rôle de Rolf Steiner, un rôle qui lui sied parfaitement et qu'il interprète avec charisme et subtilité. Le reste du casting n'a pas a rougir en comparaison avec sa prestation impériale : Maximillian Schell est excellent en bad mother fucker, livrant une prestation complexe pour un personnage qui l'est tout autant et chaque scène de conflit avec James Coburn est un régal... On compte également toute une liste de seconds couteaux tous aussi talentueux que les autres. Une distribution de qualité, et dirigée avec talent par Peckinpah, dont la mise en scène est brillament soutenue par la superbe bande-son d'Ernest Gold.
Vous l'aurez compris, CROSS OF IRON, par sa violence et sa noirceur, n'est pas un film a mettre entre toutes les mains, toutefois, il en demeure un chef d'oeuvre absolu, qui, s'il ne plaira pas à tout le monde, mérite d'être vu... C'est l'aboutissement de toute l'oeuvre d'un maître, de toutes ses obsessions et de toutes ses thématiques favorites. C'est également l'aboutissement d'un propos enragé et d'une vision noire de l'humanité qui a mis des années et un paquet de films à se développer... Certainement l'oeuvre la plus viscérale de son réalisateur, pourtant connu pour la viscéralité de ses oeuvres, c'est un film majeur et qui, par son absence de concession, ses qualités techniques et formelles évidentes, et sa subversion, se range à mon sens parmi les meilleurs films jamais réalisés, rien que ça... CROSS OF IRON est un chef d'oeuvre, tout simplement. Putain, ça m'a donné envie de le revoir tout ça!
Critique issue de mon blog.