Réalisé et écrit par Alejandro Jodorowsky en 1973.
Avec Horacio Salinas, Alejandro Jodorowsky et Ramona Saunders.
Bon, je vais pas tourner autour du pot une seule seconde : LA MONTAGNE SACRÉE est de loin l'une des oeuvres les plus difficiles à chroniquer de tous les temps. Pour vous donner une idée, je prépare cette critique depuis 2 mois, il m'a fallu deux visions, dont une avec les commentaires audio d'Alejandro Jodorowsky pour en effleurer le sens... Il y a beaucoup trop de choses à dire sur cette oeuvre, tellement que la seule personne à pouvoir en définir clairement le sens et la portée est très certainement Alejandro Jodorowsky, le réalisateur lui-même. C'est pourtant ce que je vais essayer de faire (je dis bien "essayer") et ce malgré la complexité, la subversion, l'ésotérisme, la folie de ce film... Mais pour ça, il faut partir à la base, c'est-à-dire de Jodorowsky lui-même, qui après le succès d'EL TOPO, se lance, grâce à Allen Klein dans LA MONTAGNE SACRÉE... Et il faut bien se rendre compte dès le départ qu'il s'agit ici d'une des oeuvres les plus subversives jamais réalisées : blasphématoire, satirique, visionnaire, métaphysique, mystique sont une poignée de mots assez représentatifs de LA MONTAGNE SACRÉE, une pure expérience cinématographique avant d'être un film finalement puisque Jodorowsky signe une oeuvre qui relève purement et simplement du jamais vu... Pourtant, ce ne fut pas du gout du gouvernement mexicain toutes ces histoires de blasphèmes et d'ésotérisme, puisque pour l'anecdote Jodorowsky à frolé la mort à plusieurs reprises sur le tournage du film, à été menacé de mort à plusieurs reprises également et de peur pour sa famille à du s'exiler aux Etats-Unis pour finir son film...
En même temps, rien de bien d'étonnant la-dedans dans la mesure ou en plus d'être certainement l'un des films les plus timbrés de tous les temps, Jodorowsky, qui a à cette époque pour objectif de changer le monde, dresse dans LA MONTAGNE SACRÉE un portrait méchamment satirique de notre société. En effet, dans LA MONTAGNE SACRÉE, tout le monde se prend sa petite baffe, notamment la religion catholique dont Jodorowsky rit carrément au nez, et ce malgré l'usage important de thématiques et d'imagerie christiques dans le film, jugeant que l'église à oublié ce qu'était la religion et dressant un portrait volontairement caricatural mais tout aussi drôle qu'inquiétant de cette dernière. Blasphémant à outrance (Les romains qui font des fausses icônes de Jésus fallait oser quand même.), Jodorowsky va encore plus loin en attaquant de manière satirique également commerçants d'armes, hommes politiques, pédophiles, même les artistes s'en prennent plein la gueule au travers d'une séquence pleine d'humour ou dans un des délires visuels propres à Jodorowsky, ce dernier critique de manière puissante les artistes modernes qui prennent l'art pour un business... Pas forcément très enthousiaste concernant l'être humain, LA MONTAGNE SACRÉE reste pourtant un film puissamment humouristique, chacune des séquences satiriques du film étant un puissant moment d'humour, humour marqué par un rire jaune certes surtout lorsque Jodorowsky se met à toucher au conditionnement de l'enfance et à taper sur les doigts du nazisme au travers d'une séquence de castration autant portnawak qu'elle est violente, dérangeante mais paradoxalement fun par son absurdité. LA MONTAGNE SACRÉE est donc une oeuvre puissamment satirique mais c'est également une oeuvre cinématographique universelle dans les thématiques qu'elle aborde dans la mesure ou, dans l'optique de changer le monde, Jodorowsky, touche à des dizaines de sujets et de thématiques. C'est d'ailleurs en grande partie l'abondance de thématiques abordées dans le film, ainsi que son aspect cinématographique assez unique, qui en fait une oeuvre si difficile à chroniquer, mais finalement n'est-ce pas la une des qualités principales du film? Son côté indescriptible et indéchiffrable, mais surtout le fait que toutes les thématiques que Jodorowsky aborde se réunissent en un seul groupement pour former une réflexion sur l'Homme avec un grand H?
Dans LA MONTAGNE SACRÉE, l'Homme, en plus de ne pas avoir de nom, est comme d'habitude chez Jodorowsky, sur le chemin d'une quête initiatique supposée en faire un homme meilleur. Si le très touchant El Topo courait après l'amour, le personnage principal du récit court ici après l'immortalité. Sa quête de l'immortalité, véritable quête du surhomme, est marquée par une des mécaniques communes à tous les Jodorowsky : imagerie et thématiques christiques, le voleur vagabond ressemblant étrangement à Jésus, icône religieuse qui est également tournée en ridicule dans la première partie du film... Mais le plus intéréssant survient lorsque cette quête de l'immortalité se transforme subitement en quête de la vérité, lors d'une scène, qui, sans en dire trop, brise la fine limite entre Jodorowsky et son spectateur en plus de briser en même temps toutes les illusions (oui c'est énigmatique, je sais). Jodorowsky lance une puissante réflexion sur le cinéma, voire même sur la vie en elle-même. Cette même vie qu'il accorde aux personnages qu'il caricature, livrant par la même un puissant message d'espoir malgré le côté profondément pessimiste du film. Cette quête apparemment linéaire mais qui dévoile de manière surprenante ses enjeux au fur et à mesure qu'elle avance est rendue encore plus unique par l'intervention directe de la culture de Jodorowsky dans l'histoire... Cultures ésotériques, cultures modernes issues de tous les coins du monde, peu importe en soit d'ou ça vient tant que ça sert le propos de Jodorowsky, de ce point de vue le but est atteint et cette culture abondante (brillament expliquée en détail par les commentaires audio de Jodorowsky présent sur les DVD.) se marie à des délires visuels absolument incroyables.
Vous l'aurez compris, LA MONTAGNE SACRÉE est une oeuvre unique et un tournant pour bon nombre de cinéphiles, mais c'est un tournant pour son propre réalisateur également, en effet, si Jodorowsky est bien connu pour son EL TOPO et sa MONTAGNE SACRÉE c'est en partie parce que ce sont ses plus beaux films d'un point de vue visuel. Ici, ses délires visuels sont poussés à l'extrême, au maximum, Jodorowsky le dit d'ailleurs lui-même, pourtant de la même façon que le film se divise en deux parties, une partie ésotérique et une autre plus réelle (relativement), cette division se ressent également d'un point purement visuel. En effet, si toute la première partie est d'une beauté à couper le souffle, les décors y sont grandiloquents, baroques, les costumes absolument magnifiques... Tout y est maniéré, exagéré, conçu pour être le plus classe possible, pourtant dans la deuxième partie, Jodorowsky calme un peu son jeu et livre un visuel toujours aussi beau mais bien plus sobre, visuel qu'il gardera pour la réalisation de son SANTA SANGRE. Il est donc clair que LA MONTAGNE SACRÉE constitue un galon important dans la filmographie d'Alejandro Jodorowsky, divisée tout comme son film en deux, une partie est artificielle la ou l'autre est plus réelle, impression confirmée par le fait que Jodorowsky lui-même admet ne plus penser de la même façon qu'a l'époque ou il a réalisé LA MONTAGNE SACRÉE... Ceci dit, pour la partie réelle, c'est assez relatif, parce que réel ou non Jodorowsky reste un réalisateur atypique qui se définit clairement par des délires visuels dont il est le seul à posséder le secret... Cinéaste surréaliste mais également poète macabre, Jodorowsky signe ici son plus beau film, mettant en scène des situations d'une beauté incroyable, d'un onirisme étrange, teintées d'humour mais en même temps d'une ultra-violence rarement égalée. L'alchimie de tous ces éléments donne lieu à des séquences d'une poésie sidérante, durant lesquelles des oiseaux sortent des impacts de balles et ou des crapauds en armures se bastonnent contre des caméléons lors d'une scène purement symbolique...
Symbolique, LA MONTAGNE SACRÉE, l'est assurémment, c'est d'ailleurs une des choses qui le rend par occasion très difficile à comprendre, Jodorowsky allant presque aussi loin dans la métaphore que dans ses délires visuels. Pourtant, de ce déferlement de thématiques subtiles et complexes se dégagent d'autres thématiques plus évidentes à saisir. Toujours sous l'influence évidente de Tod Browning et de son FREAKS, Jodorowsky prend son temps pour filmer des "freaks", ces êtres qui l'obsèdent et qui représentent physiquement le côté monstrueux des hommes, ce côté monstrueux qui prend souvent le dessus sur le reste, cette séquence ou l'infirme corromp le voleur avec un joint de marijuana en témoigne. Malgré cela, ce n'est pas avec peur, ni avec haine que Jodorowsky filme ses freaks, et s'il y a une peur dans ses films qui y soit liée c'est celle de la perte d'identité que le côté monstrueux de l'homme provoque et qui doit être détruit... Seulement Jodorowsky le fait ici une fois de plus de manière assez étrange, même assez émouvante pour être encore plus précis, le côté monstrueux des hommes étant une fois de plus un personnage attachant bien qu'assez secondaire ici (dans la mesure ou il n'a droit qu'a peu de temps à l'écran) en regard des autres films de Jodorowsky, mais garde une importance symbolique considérable dans cette quête initiatique qu'est LA MONTAGNE SACRÉE, quête initiatique guidée par la réalisation et le scénario d'Alejandro Jodorowsky mais également par le personnage qu'il interprète.
Si le personnage du voleur se rapproche énormément de Jésus par son apparence et son parcours, l'alchimiste qu'interprète Jodorowsky (avec classe d'ailleurs) se rapproche quand à lui plus de Dieu. Omniscient, immortel, supérieur d'un point de vue intellectuel et capables des plus grands miracles, il guide tout le film et l'emmène vers sa finalité petit à petit. Enigmatique, c'est également un personnage fascinant par les nombreux rites alchimiques qu'on le voit pratiquer et qui lui sont caractéristiques et par son savoir d'un niveau limite divin. Ce savoir s'explique de lui-même par la finalité du film, surprenante comme je l'ai déja dit auparavant mais qui donne également une tout autre dimension a cet alchimiste et explique par la même occasion la présence d'Alejandro Jodorowsky dans ce rôle spécifique, dans lequel il brille par son interprétation, basée sur un scénario maitrisé de bout en bout, timbré certes, mais d'une rare subtilité et renvoyant souvent au cinéma muet, cinéma dans lequel Jodorowsky à oeuvré avec, rappelons-le LA CRAVATE. Ici, Jodorowsky, une fois de plus, montre ses talents de scénariste et livre un film complet et complexe dont la subtilité et le style en font une expérience unique ou le dialogue est presque anecdotique... Jodorowsky parle à travers sa caméra et c'est largement suffisant, ce dernier ayant l'intelligence et le talent pour faire comprendre ce qu'il à a dire simplement par son imagerie.
Vous l'aurez compris, LA MONTAGNE SACRÉE est un pur ovni, un film difficile à saisir certes mais brillant d'un point de vue formel, Jodorowsky maitrisant son film à tous les niveaux, ce qui en fait une expérience sensorielle forte et unique dont le visuel incroyable vous scotchera à chaque instant, une quête initiatique intense par son imagerie mais également par son propos et son ambiance, passant par tous les registres possibles et imaginables... Tantôt drôle, tantôt poétique, il devient ultra-violent pour partir sur quelque chose de plus subversif pour revenir sur de l'humour et autres bizarreries... LA MONTAGNE SACRÉE est un film qui ne ressemble à aucun autre, qui, pour cette raison, se range clairement aux côtés de TETSUO et autres bizarreries dans la liste des films qui se distinguent le plus de tous les autres... Alors, ne nous voilons pas la face, LA MONTAGNE SACRÉE n'est pas pour tout le monde, son côté jusqu'au boutiste peut notamment rebuter mais par sa dimension unique et ses qualités techniques et scénaristiques, c'est une expérience que tout le monde devrait faire au moins une fois.... Ce film est un chef d'oeuvre tout simplement, certainement un des plus grands films de tous les temps et si vous êtes encore la à lire c'est que vous n'avez pas compris : faites-en une priorité, et profitez-en au passage pour voir si ce n'est pas encore fait les deux autres chefs d'oeuvres d'Alejandro Jodorowsky, EL TOPO et SANTA SANGRE...