Pour fêter en grande pompe la sortie du formidable Dictionnaire des films français pornographiques et érotiques en 16 et 35 millimètres dirigé par Christophe Bier, la Cinémathèque consacrait une soirée spéciale au genre, nom de code "Nuit de la Grande Chaleur". Le Club des monstres ne pouvait rater un tel événement. Compte-rendu. « J’en ai rêvé de cette soirée ! Ce cinéma a compté pour moi, en tant que cinéphile. A partir du moment où j’avais l’âge légal. Et même avant parfois » : c’est par ces mots empreints d’humour et de simplicité que Jean-François Rauger, directeur de la programmation de la Cinémathèque française, lance la Nuit de la Grande Chaleur. Proposée à l’occasion de la sortie du tant attendu "Dictionnaire des films pornographiques et érotiques français en 16 et 35 millimètres", cette soirée spéciale nous offre l’occasion de balayer, films et bandes-annonces à l’appui, l’évolution de la cinématographie érotique française.
« Nous respectons là les conceptions d’Henri Langlois (fondateur de la Cinémathèque en 1936, ndlr),
pour qui le cinéma est un, que l’on soit Robert Bresson ou Gérard Kikoïne », ajoute Jean-François Rauger, avant d’inviter Christophe Bier, le maître d’œuvre du dictionnaire susmentionné à le rejoindre sur scène. Chemise rose tyrien assortie à la couverture de l’ouvrage, costume de ville noir, catogan, le « MC » des exégètes du cinéma tricolore pour adultes déclenche d’emblée l’hilarité.
« 18,5 sur 24,7 centimètres, 1,8 kilogramme, 1200 pages, le dictionnaire est l’objet idéal pour assommer les pornophobes, qui sont de plus en plus nombreux ! Les psychologues, les féministes conservatrices, les patrons de Ligues de (petite) vertu ! D’A BOUT DE SEXE à ZOB, ZOB, ZOB !, ce dictionnaire les terrassera tous ! », lâche Bier, déchaîné.
Et d’entamer un discours incantatoire délirant, sur son
« rêve », celui de voir le prochain président (ou la prochaine présidente) de la République supprimer la loi sur le classement X. Un budget de 30 millions d’euros octroyé par la Gaumont à John B. Root ? La réouverture par Francis Mischkind de l’Alpha Elysées, rebaptisé Alpha Elysées 2012, un cycle d’été spécial porno à la Cinémathèque, inauguré par le ministre de la Culture, Carmelo Petix, hardeur bisexuel excentrique porté sur le travestissemnent (Echange hilarant :
« Tu as joué dans ZOB, ZOB, ZOB ? », lui demande Bier.
« Je ne sais pas ! », rétorque Petix dans un éclat de rire) : tout est possible dans les rêves de Christophe Bier. Un à un, tous les auteurs du dictionnaire sont invités à rejoindre sur scène son initiateur. Journalistes, érotomanes, universitaires ou tout cela à la fois, ils sont une vingtaine à poser pour une belle photo de famille. La Nuit de la Grande Chaleur peut commencer…
Comme un reflet de l’évolution du cinéma érotique, la programmation de la soirée présente un crescendo, du plus sage au plus hard, du plus conventionnel au plus déviant. La première série de bandes-annonces ne comporte donc aucune scène hardcore mais témoigne des premières percées, subtiles puis plus franches, de l’érotisme à l’écran : si L’AMANT DE LADY CHATTERLEY, version Marc Allégret, avec Danielle Darrieux et Leo Genn, en reste au stade de la dentelle, BLACK LOVE, polar érotique blaxploitation de José Bénazeraf (entrée 162 du dictionnaire), avec Alphonse Béni, promet de ne pas laisser ignorer grand-chose des corps noirs et blancs qu’il mêle et entremêle, au rythme d’une bande-son afro-funk du meilleur effet…
Après une nouvelle salve d’applaudissements, vient le moment de présenter le premier film. SEXUELLEMENT VÔTRE est le dernier long métrage érotique réalisé par Max Pécas, avant que le futur maître des bidasseries made in France ne passe au hardcore. Réalisée en 1974, cette bande raconte les aventures de Gérard Casanova, lointain descendant de l’illustre Vénitien. Escort-boy, le personne principal, interprété par Yann Brian, fait payer très cher ses services à des bourgeoises en manque de satisfaction sexuelle :
« Je ne suis pas un gigolo, juste un beau mâle qui donne du plaisir à celles qui peuvent payer. Mon numéro est 7 millions, 7 000 000 », dit-il en introduction. Bientôt, pour faire face à l’afflux de la clientèle, Casanova a l’idée de s’adjoindre les services d’un ami barman (Michel Vocoret, scénariste et réalisateur jouant les acteurs à ses heures perdues).
Qualifié à juste titre de
« pompidolien » par la très éclairante notule que le dictionnaire lui consacre, SEXUELLEMENT VÔTRE est un film d’avant : d’avant le déferlement hardcore, d’avant la sexualité de groupe et d’avant la libération des mœurs et de la femme aussi. De la superbe Emmanuelle Parèze, trentenaire et future hardeuse après des débuts dans la comédienne traditionnelle, honorée en levrette pendant qu’elle appelle son mari trompé (
photo), à la jeune et tendre Céline, Max Pécas sait filmer les corps et met en valeur son casting féminin, dans une série de saynètes à l’éclairage soigné. L’humour est présent, les fantasmes des uns et des autres sont gentiment moqués, mais la chute finale, qui voit le héros se marier, consacre la toute puissance du modèle conjugal, comme un pied de nez à la critique féministe du machisme.
Présenté après une nouvelle salve de bandes-annonces, dont un étonnant trailer sans image de ELLES FONT TOUT de Clifford Brown (= Jess Franco)
(« Jamais le vérisme n’a été aussi loin » sic), le film suivant, annoncé comme un film surprise – on comprendra pourquoi –, va illustrer joliment le vacillement de la norme dominante, sous les coups de boutoir de la libération des mœurs. Et quel film ! Tourné en 1975, L’ESSAYEUSE reste à ce jour le seul et unique long métrage à avoir été détruit pour outrage aux bonnes mœurs, suite à une série de plaintes d’associations familiales et catholiques. Véritable
« tâche sur le règne de Giscard d’Estaing » (dixit Jean-François Rauger), ce film a en outre la particularité d’avoir été réalisé par un cinéaste issu du cinéma traditionnel grand public, à savoir Serge Korber (auteur notamment de SUR UN ARBRE PERCHÉ, comédie avec Louis de Funès).
Présent dans la salle, le légendaire hardeur 70’s (et un peu 80’s) Richard Allan, la soixantaine poivre-et-sel, rejoint sur scène Christophe Bier. Acteur dans le film, « Queue de béton » se souvient avoir été convoqué au 36, quai des Orfèvres par la PJ dans l’affaire de L’ESSAYEUSE.
« Il y avait une grande hypocrisie des techniciens, qui assuraient qu’ils pensaient tourner juste un film érotique », raconte Richard Allan.
« Personnellement, j’assumais. Mais on retrouvait là quelque chose de bien français : dans ce pays, les gens aiment bien voir, mais pas être vus », poursuit l’ancien comédien, avant de conclure avec humour.
« La Ligue des Aveugles avait porté plainte aussi. J’ai dit aux flics que j’ignorais qu’il existait une version en braille du film. »Après cette remise en perspective, on était curieux de découvrir le film, sauvé de l’anéantissement par son réalisateur, qui en confia une copie à la Cinémathèque. N’ayons pas peur des mots : L’ESSAYEUSE est un chef d’œuvre du porno français, pour tout un tas de raisons. D’abord parce que, dans le rôle-titre, Emmanuelle Parèze fait merveille. En actrice complète, cette blonde magnifique, que l’on aurait été curieux de revoir trois décennies après, passe avec un talent confondant des scènes de comédie au hard. D’une expressivité unique, le visage distingué et malicieux de Lena/Emmanuelle illumine un film pourtant pas dépourvu d’atouts par ailleurs : décors soigneusement choisis (on citera cette étonnante maison troglodyte avec mobilier design et piscine intérieure), tenues superbement élégantes (L’ESSAYEUSE avait aussi une bonne habilleuse), bande-son travaillée (signée Paul Vernon, AKA le grand Alain Goraguer, ancien arrangeur de Serge Gainsbourg), interprétation soignée et crescendo dans le hard.
La première demi-heure du métrage ne compte que très peu d’éléments pornographiques, l’auteur prenant le temps de jouer avec la pulsion scopique du spectateur tout en installant son suspense érotique : manipulée par un bourgeois pervers (Alain Saury, acteur traditionnel déchu et doublé pour ses scènes hard) et sa femme frigide (Isabeau, apparition quasi-unique de cette actrice évoquant Dominique Erlanger – l’héroïne du SEUIL DU VIDE de Jean-François Davy, autre futur pornographe/crate), Lena retournera-t-elle la situation à son avantage ? On se gardera de répondre, d’autant que la fin est aussi abrupte qu’ouverte.
Avec sa mixité sociale, ses corps indifféremment jeunes et vieux, athlétiques et plus flasques, noirs et blancs, homosexuels et hétérosexuels, riches et pauvres (Lena et Karine, la bourgeoise, s’envoient le serveur d’une auberge et un cyclomotoriste en panne), L’ESSAYEUSE donne un reflet fidèle de ce que le genre porno aurait pu devenir sans la mise à l’indeX, sans la tyrannie des canons de beauté et de la performance sexuelle, sans l’hygiénisme prophylactique des années Sida, sans le politiquement correct (Lena prise avec vigueur par deux Noirs caricaturaux, hyper-musclés et hyper-membrés, comme un fantasme colonialiste qui passerait difficilement aujourd’hui).
Il n’est d’ailleurs pas fortuit que la scène clé du film, celle où l’épouse bourgeoise surmonte le dégoût que lui inspire Léna la « salope » (
« Merci du compliment », dit l’héroïne) a lieu dans un bain de vapeur de la rue d’Odessa (Paris 14ème), où les deux femmes regardent des hommes se sucer et se sodomiser… Du porno haut de gamme, quoi qu’il en soit, avec des mouvements de caméra et des plans qui transcendent les figures imposées du genre, comme la partouze finale, tournée dans des massifs de fougères, où les feuilles au premier plan excitent le voyeurisme du spectateur, tel un voile végétal troublant gracieusement sa vision de l’action.
On l’aura compris, L’ESSAYEUSE est de ces découvertes qui marquent durablement un spectateur et bouleversent sa vision d’un genre. On n’en dira pas autant du troisième film de cette soirée. Autant l'œuvre censurée de Serge Korber tirait la pornographie vers le haut, autant MALEFICES PORNOS d’Eric de Winter, pourtant pratiquement contemporain (le film date de 1978), symbolise l’absolue misère que le genre, comme tout autre, portait déjà en lui. Effarant de laideur et de tristesse, aussi indigent dans sa mise en scène qu’ambitieux dans ses prémisses scénaristiques, MALEFICES PORNOS est un porno bis à tendance gore tourné presqu’entièrement dans une caverne.
Heureusement très court, le film avait initialement été conçu pour les cinémas double programme de la 42ème rue. Recalé à plusieurs reprises par la commission de censure parce qu'il mêlait effusions de sperme et de sang (la scène des aiguilles plantées dans l’énorme sexe du hardeur noir, Manu Pluton, déjà vu dans… L’ESSAYEUSE), l’œuvre se réduisit au final à 60 petites minutes de bande. Produit par AMT Productions, dirigée par la tyrannique lesbienne Anne-Marie Tensi, MALEFICES PORNO raconte l’histoire d’un mari incapable d’honorer sa femme, malgré une tentative de stimulation par l’échangisme (une première scène abyssale de glauquerie). Après avoir lu un roman de gare intitulé Meurtres vaudous, l’homme rêve de kidnapper deux femmes et un Africain afin de leur infliger moult supplices et de recouvrer ainsi sa virilité.
Le contraste avec L’ESSAYEUSE est saisissant : tout est laid, mal cadré et débectant dans MALEFICES PORNOS. Rien n’est excitant, les coïts filmés en très gros plans sont purement gynécologiques. Le seul suspense du film nous est offert par l’interprète principal, Gilbert Servien. Personnage à la destinée extraordinaire, devenu acteur dans le traditionnel (on le voit souvent dans les Chabrol des années 60) puis le porno après avoir été localier au "Dauphiné Libéré", Gilbert Servien avait transformé un défaut qui aurait dû être rédhibitoire (sa difficulté à bander devant la caméra) en atout. Dans cet ensemble fleurant à plein nez l’indigence, ce comédien talentueux est le seul récif d’humanité auquel le spectateur se raccrochera. C'est muni d'un magnifique dictionnaire dédicacé par plusieurs de ses auteurs, que votre serviteur quittera les lieux, vers 3h du matin, la tête pleine d'images inouïes.
StelvioA lire absolument :
Dictionnaire des films pornographiques et érotiques français en 16 et 35 millimètres, éditions Serious Publishing.
www.serious-publishing.fr